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CGT vvfvillages
10 juillet 2014

« Si on pouvait, on partirait, mais ce n’est pas possible »

article paru dans "L'HUMANITE" le 09/07/2014

 

departvacances

Désormais, près d’un Français sur deux ne peut pas partir en vacances. Un droit de plus en plus remis en cause par l’austérité généralisée et l’absence de politique vigoureuse pour aider au départ. Rencontre avec ces familles qui passeront leur été chez eux, bon gré mal gré.

Lille, Roubaix, envoyé spécial. «Si on pouvait, on partirait, c’est clair ! » Mais, cette année encore, la famille Wattier ne sortira pas la tente de camping pour une longue  escapade en Vendée. L’été, elle le passera dans sa petite maison de briques, rue d’Alger, à Roubaix (Nord). Comme depuis trois ans. « Un endroit calme, on ne se plaint pas », assure Patrick. Son épouse, Sabine, acquiesce : « Avoir une maison, aujourd’hui, c’est un luxe ! À

choisir, je préfère ça plutôt que d’avoir un appartement et de pouvoir partir en vacances. » Le problème, justement, étant de devoir « choisir ».
Un dilemme face auquel se retrouvent de plus en plus de Français. Depuis une dizaine d’années, le taux de départs en vacances
ne cesse de se dégrader. Selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), les Français étaient 66 % au milieu des années 1990 à profi ter d’un séjour estival pour couper avec leur quotidien. Ils ne sont plus que 57 % en 2013. Mais il serait faux de parler d’un recul général. Cette baisse du taux de départs est creusée par les catégories les plus pauvres. L’année dernière, près de 80 % des foyers gagnant plus de 3 000 euros ont continué à programmer un séjour de vacances durant l’été. Un chi› re stable.
En revanche, seuls 35 % des foyers ayant un revenu inférieur à 1 200 euros ont tablé  sur un départ, reculant de dix points par rapport à 1998.
Sur quinze ans, ce sont les catégories sociales les plus défavorisées qui ont enregistré la baisse la plus conséquente. « Le fossé des vacances se creuse, constate Sandra Hoibian, chercheuse au Credoc. Depuis 2008, les plus modestes ont pris de plein fouet la crise et ne s’en remettent pas. Le taux de départ des plus pauvres n’a jamais été aussi bas depuis le milieu des années 1990. Les autres catégories, elles, ont tendance à repartir en vacances davantage depuis 2010. »

Sa maisonnette avec jardin, voilà presque dix ans que la famille Wattier l’occupe, d’abord comme locataire, puis comme propriétaire. Elle est secrétaire médicale ; lui est en recherche d’emploi, après avoir travaillé des années comme veilleur de nuit mais également dans le bâtiment. « Tout ce qui ne demande pas de formation », glisse-t-il. Mais depuis quelques années, la période est aux vaches maigres. Avec le remboursement du prêt immobilier, le budget familial est calculé au centime près. Et les vacances ne sont même plus une variable d’ajustement.

La famille arpente les kermesses, les braderies

La dernière fois que Patrick, Sabine, Romain et Ambre sont partis, c’était en 2011. Ils avaient alors rejoint la Vendée, pour y passer des vacances au bord de l’océan. En camping, évidemment. « Nous partions avec notre grande tente, dedans on tient sans problème ! », lance Patrick, avec un mouvement de tête vers le placard où le matériel attend des jours meilleurs. Des vacances qui restaient modestes et surtout pas trop éloignées. « Le camping, précise Romain, on l’a fait en Vendée mais surtout sur la côte d’Opale », le littoral du Nord-Pas-de-Calais qui borde la Manche et la mer du Nord.

Mais le dépaysement était là. L’adolescent de seize ans, qui s’oriente vers un CAP électrotechnique, se souvient avoir « dormi sur le sable, être réveillé par les mouettes, participé à tous les jeux organisés par le camping comme le volley-ball ». Et les repas atypiques, comme les sandwichs engloutis après les baignades – « la mer, ça donne faim ! » – ou le cassoulet en boîte préparé au réchaud. « Il n’est bon que là-bas, sourit le jeune homme. Quand on le fait ici, c’est comme s’il n’avait pas le même goût. »

Comment passer des vacances sans partir ? En s’évadant autant que possible. En ne renonçant pas à « l’esprit festif de l’été », comme le dit Patrick. La famille arpente les « ducasses » (kermesses), les braderies. « Et si possible, une petite journée dans un parc d’attraction, ajoute le père de famille. Mais en Belgique, c’est moins cher. » Une virée que la famille n’a même pas pu faire l’an dernier. « Ma femme travaillait, on était ric-rac sur le budget… Mais on s’est rattrapé sur la Foire de Lille. »

Pour Ambre, neuf ans, pas de colonies de vacances. Impossible à la famille de sortir plusieurs centaines d’euros pour quinze jours de séjour. Elle ira donc au centre aéré tout le mois d’août, comme l’an dernier. Avec certaines de ses camarades d’école. Au programme, sport et jeux. Comme cette « chasse au trésor » organisée un après-midi, où tous les enfants devaient demander aux habitants de Roubaix d’échanger un objet contre un plus gros, afin de revenir avec le « plus grand truc possible ». Ambre avait ramené un panneau publicitaire hors d’usage. Mais elle avait été battue par un vieux toboggan pour piscine...

Dans le quartier, ne pas partir est devenu la règle pour beaucoup

Des regrets de ne pas s’éloigner de son environnement quotidien ? Pas vraiment. Ambre est trop jeune pour s’en rendre compte, pense sa mère. Et surtout, dans le quartier, ne pas partir est devenu la règle pour beaucoup. Les inégalités face au droit aux vacances sont encore plus flagrantes entre enfants. Seuls 5 % des filles et fils de cadres supérieurs ne partent pas, selon l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (Ovlej). Contre 31 % et 34 % pour les enfants d’employés et d’ouvriers. « Quand on peut, ça fait plaisir et on ne se gêne pas de le dire aux copains, glisse Romain, le grand frère. Mais quand je ne partais pas, je ne me suis pas senti vraiment désavantagé. » Il faut dire que la plupart de ses camarades de classe, en primaire comme au collège, passent l’été sans bouger de leur ville.

Sans surprise, dans plus de la moitié des cas de non-départ en vacances (52 %), ce sont les raisons financières qui sont invoquées. Cette compression du budget touche également ceux qui peuvent encore partir. « Désormais, on prend la voiture dans 80 % des cas, on va chez des amis et de plus en plus dans la famille. Et, surtout, on reste en France », relève Sandra Hoibian. C’est exactement le cas d’Hélène, mère de deux enfants. Endettée par un prêt immobilier depuis deux ans, cette psychologue de profession, habitante dans l’Eure, ne fera pas cette année le long séjour traditionnel en Bretagne. « Nous ne partirons que quatre jours dans la famille, à Paris, puis trois jours à Disneyland », dit-elle, avouant ne pas être encore dans « la crainte de ne pas partir ». Mais d’en entrevoir la perspective.

 


Crédit: 
Infographie Idé

 

Juliette est obligée de compter chaque pièce jaune

Comme le relèvent les études, les situations de non-départ sont encore plus compliquées dans le cas de familles monoparentales. Juliette, quarante ans, en sait quelque chose. Elle vit avec sa fille de onze ans dans un trois-pièces à Lille-Sud. Caissière en grande surface, c’est non sans peine qu’elle boucle ses mois. « Le loyer, la nourriture, les fournitures scolaires, les quelques sorties avec Audrey... Tout augmente ! C’est à se demander si ces grands messieurs qui décident pour nous imaginent une minute comment on fait pour vivre. »

Depuis sa séparation avec le père de sa fille, il y a sept ans, Juliette est obligée de compter chaque pièce jaune. Elle veut « offrir le meilleur » à sa fille. Mais mis à part un séjour chez sa sœur de deux semaines, à l’été 2012, dans la chaleur du Limousin, Juliette n’a pas pu emmener Audrey en vacances ces dernières années. « C’est un choix contraint, affirme-t-elle. Pour ne pas vivre trop chichement l’année. » Et de montrer, sur l’étagère, les boîtes de céréales et de biscuits. Cet été, elle va se ménager quelques sorties avec sa fille. « On se fait plaisir de temps en temps, un petit resto, un cinéma : sans ça, c’est sûr, ce serait morose. » La jeune quarantenaire mentionne aussi quelques sorties à la piscine et même des balades à vélo. En compagnie d’Audrey et de ses copines.

La mère de famille refuse pourtant de s’apitoyer sur son sort. Oui, elle ne s’évade pas de son département du Nord. « Mais le beau temps, c’est aussi dans la tête ! sourit-elle. Tant qu’il ne pleut pas, moi, ça me va. » Faute de pouvoir véritablement faire une coupure, Juliette a planifié plusieurs sorties d’une journée, rendues possibles par la baisse des tarifs des transports en commun durant l’été. « Heureusement, il y a le TER à 1 euro », reconnaît-elle. Un dispositif mis en place par la région Nord-Pas-de-Calais pour profiter de la plage – et si on est chanceux, du soleil – à seulement 1 euro l’aller-retour en train, lors des week-ends estivaux. Le premier week-end d’août voit également le « TER Vert », au même tarif, permettant de rejoindre l’Avesnois ou encore l’Audomarois et ses canaux, autour de Saint-Omer. « J’ai de très bons souvenirs de la journée à la mer, l’an dernier, et on remettra ça cette année avec plaisir. Peut-être même deux fois. » Enfin, autre hypothèse qui réjouirait la petite famille, partir un week-end avec l’aide du comité d’entreprise de Juliette. « Nous avons des week-ends à Bruxelles, Namur et même à Londres à des prix défiant toute concurrence. Je ne l’ai pas encore fait, mais j’y réfléchis de plus en plus », sourit-elle. Si le porte-monnaie le permet.

les vacances pour tous, un droit inscrit dans la loi
Le droit aux vacances est inscrit dans la loi contre l’exclusion de 1998, présentée par la communiste Michelle Demessine, alors
secrétaire d’État au Tourisme. Si les moyens manquent aujourd’hui pour faire appliquer ce droit légal, il reste un point d’appui pour exiger des pouvoirs publics une véritable politique de démocratisation des séjours, à commencer pour les plus jeunes – colonies, classes de découverte…
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